Présentations des conférences « Histoire comparée, histoire contrefactuelle » session 2017/2018

>Retrouver les femmes colonisées dans les archives coloniales. L’exemple du Ghana –Anne Hugon

Il s’agit dans cette conférence de revenir sur l’idée, en partie fausse, selon laquelle les archives coloniales seraient pauvres en documents concernant les femmes. Ainsi, dans les archives du Département médical de Gold Coast (ancêtre du Ministère de la Santé), on trouve de nombreux documents sur la médicalisation de la grossesse et de l’accouchement. Le contexte se prête en effet à une lutte contre la mortalité infantile, lutte autour de laquelle il existe un consensus entre colonisateurs et colonisés — même si les moyens de cette lutte ne sont pas aussi consensuels. A travers des documents d’archives, mais aussi des articles de presse, des photographies de fonds privés ou des entretiens avec des sages-femmes et des femmes « ordinaires », il est possible de retracer l’évolution des façons de devenir mère en Gold Coast entre 1920 et la fin des années 1950.

>La république coloniale et l’islam en Afrique du Nord (1871 – 1962) –Pierre Vermeren

Dans cette présentation, il s’agit de considérer la manière dont la république coloniale a pris en charge la préoccupation religieuse et son contrôle en Algérie, à la suite du traumatisme  de 1871, puis en dehors des lois de laïcité, et leurs modalités dans les deux protectorats voisins. Il y a des points communs mais surtout de grosses différences: l’expérience acquise en Algérie ayant été intégrée d’emblée lors de la construction des protectorats: l’islam a été pour l’essentiel laissé au mains des pouvoirs locaux, la France coloniale se contentant d’attirer et d’orienter vers elle une partie des élites locales. En Algérie en revanche, obsédé par les deux islams officiels, l’urbain des médersas et le confrérique des zaouias, les autorités n’ont pas compris, jusqu’à la fin de la période, la naissance d’un nouvel islam, la salifia, qui devait pourtant montrer une capacité deminimisation et de résistance insoupçonnée par les autorités.
La France en terre d’islam. Empire colonial et religions (2016, Belin).

>Sortir de la guerre de Trente ans : existe-t-il un paradigme Franco-allemand ? –Fabien Théofilakis

Le traité de l’Elysée est célébré comme le traité de la réconciliation franco-allemande, présenté comme l’œuvre des chefs d’Etat des deux pays, qui auraient suscité cette amitié inédite depuis 1945. Cette perception méliorative tend cependant à simplifier la réalité et à appauvrir la valeur de paradigme que contient cette évolution binationale. La présentation tente donc de déconstruire ce mythe de « l’amitié spontanée » imposée par le haut en s’intéressant à un acteur collectif particulier venu de la société civile, les prisonniers de guerre français et allemands. Elle replace la dynamique franco-allemande dans le court Vingtième siècle en analysant de façon comparative les deux après-guerres mondiaux et l’importance accordée à la jeunesse dans le traité et son application. Elle cherche au final à comprendre pour 1945 a réussi là où 1918 a échoué.

>Qu’est-ce qu’un Algérien, un Français, un Américain ? Nationalité en droit et en comparaison –Patrick Weil

La nationalité est avec le territoire au fondement de l’État-nation.  Si le territoire définit les limites géographiques de l’État, la nationalité, elle, en détermine la population constitutive. La nationalité est un des éléments de la souveraineté de l’Etat qui a le pouvoir de déterminer à qui et comment celle-ci doit ou peut être accordée. Les législations de la nationalité sont très complexes. Pour les rendre plus aisées à comprendre, une classification fréquente établit une distinction entre les systèmes fondés sur le principe du jus soli – lieu de la naissance – et ceux fondés sur le jus sanguinis – lien de filiation. D’où viennent les différences entre les lois sur la nationalité ? Reflètent-elles des conceptions différentes de la nation – civiques ou ethniques? Sont-elles les héritières du passé colonial ou impérial ?  Nous répondrons à ces questions en comparant nationalités algérienne, américaine et française.

>Histoire politique et sociale de l’impôt en situation coloniale : Algérie, Indochine –Madeline Valerie Woker

Cette intervention aura pour but de présenter un travail de thèse en cours et d’aborder la question de l’impôt en situation coloniale dans deux contextes différents : l’Algérie et l’Indochine durant l’entre-deux-guerres. L’impôt servait bien entendu à alimenter le budget mais fut également un outil majeur de domination coloniale. Il favorisa aussi la monétarisation de l’économie et l’entrée des colonies dans une économie capitaliste mondialisée. De plus, la fiscalité coloniale était appliquée de manière très irrégulière : alors que les européens bénéficiaient généralement d’un régime de faveur, les non-citoyens (ou ‘indigènes’ selon le vocabulaire de l’époque) étaient sommés de payer sans contrepartie. La question fiscale et les inégalités financières devinrent des sujets de débat politique majeurs après la Première Guerre Mondiale et surtout durant la crise économique des années 1930.

Bibliographie sélective
Sur l’histoire de la fiscalité et des inégalités :

-Delalande, Nicolas, Les batailles de l’impôt : consentement et résistances de 1789 à nos jours, Paris : Seuil, 2011
-Piketty, Thomas, Le Capital au XXIe siècle, Paris : Seuil, 2013
-World Wealth and Income Database ( http://wid.world/) : Base de données mondiale sur les patrimoines et les revenus, qui a pour objectif de proposer un accès ouvert et pratique à la plus vaste base de données actuellement disponible sur l’évolution historique de la répartition mondiale des richesses, à la fois au sein d’un pays donné et entre les pays.

Sur l’impôt en situation coloniale :
-Ageron, Charles-Robert, Chapitre XXVI : Les impôts arabes et les charges fiscales des musulmans algériens (1891-1918) in Les Algériens musulmans et la France, Paris : Presses universitaires de France, 1968, pp. 707-735
-Bouveresse, Jacques, Un parlement colonial? Les délégations financières algériennes, 1898-1945 : l’institution et les hommes, T.1, Mont-Saint-Aignan : Publications des universités de Rouen et du Havre, 2008
-Bouveresse, Jacques, Un parlement colonial? : les délégations financières algériennes, 1898-1945 : le déséquilibre des réalisations, T.2, Mont-Saint-Aignan : Publications des universités de Rouen et du Havre, 2010
-Coquery-Vidrovitch, Catherine, ‘Le régime fiscal dans les colonies françaises 1900- 1960’ La France et l’outre-mer : un siècle de relations monétaires et financières, Paris : Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996, pp.109- 132
-Jacob, Guy, ‘Gallieni et ‘l’impôt moralisateur’ à Madagascar. Théorie, pratiques et conséquences (1901-1905)’, Revue française d’histoire d’outre-mer, volume 74, no.277, 1987, pp.431-473
-Marseille, Jacques, ‘La conférence des gouverneurs généraux des colonies (novembre 1936)’, Le Mouvement social, no. 101 (octobre 1977)
-Todd, David, ‘French Imperialism and Land Taxation in Colonial Algeria, 1830-1919’ in Studies in the History of Tax law, 3, 2009, pp.113‑138

Sur la dimension comparative :
-Goscha, Christopher et Thénault, Sylvie, ‘Maghreb-Indochine, comparaisons impériales’, no.12, novembre 2017, 2, Monde(s). Histoire, espaces, relations
-Thénault, Sylvie, ‘L’indigénat dans l’empire français : Algérie/Cochinchine, une double matrice’, Monde(s), 2, 12, pp.21-40

>Les Juifs du Maghreb pendant la période coloniale (1830-1962) –Colette Zytnicki

La conférence portera sur les conséquences de la colonisation sur les populations juives du Maghreb, conséquences politiques mais aussi sociales et culturelles. Elle mettra l’accent sur la diversification à la fois des statuts politiques entre l’Algérie, le Maroc et la Tunisie mais également au sein des judaïcités de chacun des pays. Elle s’interrogera également sur l’évolution des rapports entre les peuples (rapports judéo-musulmans et judéo-chrétiens).
-Colette Zytnicki. L’histoire des Juifs du Maghreb à l’époque coloniale. Constructions et usages du passé, Paris, PUPS, 2011.
-Colette Zytnicki. Algérie terre de tourisme. Histoire d’un loisir colonial, Paris, Vendémiaire, 2016.
-Colette Zytnicki . Histoire d’un village de peuplement dans l’Algérie coloniale (à paraître, 2018), Paris, Belin